Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article OPERIS NOVI NUNTIATIO

OPERIS NOVI NUNTIATIO

OPERIS NOVI NUNTIATIO. Dénonciation de nouvel oeuvre, acte extrajudiciaire par lequel une personne déclare s'opposer à l'entreprise nouvelle d'une construction ou démolition, qu'elle prétend avoir le droit d'empêcher sur un immeuble, en sorte que si cette entreprise se poursuit avant qu'elle ait fait juger le fond de la question, son adversaire soit tenu de remettre les choses dans leur premier état. Plusieurs conditions sont requises en droit romain pour que cette dénonciation soit régulière 2. 1° Il faut que l'entreprise ne soit pas achevée (opera futura) et qu'elle ait pour objet la création, la modification ou la destruction d'une construction sur le sol d'un fonds 3 public ou privé. 2° Il faut que le nuntians invoque ou un droit réel à conserver (juris nostri conservandi causa *), c'est-à-dire qu'il allègue le droit d'empêcher l'entreprise (jus prohibendi 3), comme portant atteinte à sa propriété immobilière et à ses droits légaux, ou à une servitude prédiale urbaine qui lui appartient 8, ou le droit de prévenir un dommage imminent [DAMNUM INFECTUM]'. Le nuntians peut encore invoquer comme citoyen la volonté de prévenir ou d'arrêter une entreprise nuisible sur un lieu public, publici juris tuendi gratia 3. Dans ce cas la nuntiatio appartient à tous, tandis que d'ordinaire elle compète ail propriétaire du fonds ou à celui qui a une servitude urbaine 9, ou à celui qui a une sorte de revendication utile comme le superficiaire [SUPERFICIES], le créancier gagiste [PIGNes], l'emphytéote [EMPHYTEUSIS] et même le possesseur de bonne foi 10. Au contraire, l'usufruitier ou le fermier ne pourrait praedii. 3° Aucune forme solennelle n'est exigée; on fait d'ordinaire une denuntiatio en présence de témoins", mais on n'a pas besoin d'aller d'abord devant le préteur, in jus 13, bien qu'il fût plus prudent de faire reconnaître ou écarter par lui tout d'abord la recevabilité de la nuntiatio, au cas de doute 15, puisqu'elle devait tirer son effet de la défense contenue dans l'édit de passer outre. Mais si l'on était en différend avec le préteur lui-même, on devait se borner à une nuntiatio devant témoins". Quoi qu'il en soit, la nuntiatio se fait d'une manière abstraite et générale, in rem et non in personam 16. Mais il faut et il suffit qu'elle s'adresse sur les lieux, en quelque sorte à l'ouvrage lui-même, en présence du propriétaire, d'un de ses esclaves, agents ou ouvriers qui puisse l'en avertir l', encore bien qu'il n'ait pas été réellement prévenu 18, en indiquant à quelle entreprise particulière s'applique la défense'', ou chacune des diverses nuntiationes L0. Elle peut d'ailleurs émaner non 1888; Mommsen, Staatsrecht, t. 1V, p. 135 sq. de la trad. fr. 1894; Lange, Rbm, Burehard, Lehrbuch, Il, 2, § 213, p. 588 sq. 3 Fr, 1, § li et 12; Dig. XXXIX, 1. d'un esclave 21, mais d'un simple procurator, à charge par celui-ci de donner caution que le mandant ratifiera27. Par suite de la dénonciation de nouvel oeuvre, quand elle était recevable en la forme, il était interdit à celui qui entreprenait l'ouvrage, ou nuntiatus, de continuer avant la mainlevée de la nuntiatio (remissio) l'entreprise commencée", sous peine d'être exposé à voir délivrer contre lui sur-le-champ une ordonnance ou interdit prétorien tendant à faire rétablir les choses dans leur premier état, interdictum demolitoriuin [INTERDIC'ruM]. Ce droit n'appartenait qu'au nuntians lui-même et non à ses héritiers ou ayants cause ou même ses copropriétaires 2+, à moins que la défense n'eût été déjà violée contre le nuntians auparavant. La nuntiatio une fois opérée oblige celui qui l'a violée à rétablir les choses à ses frais, s'il l'a violée sciemment, ou sinon à souffrir seulement le rétablissement2', ce qui est vrai aussi pour le tiers acquéreur26, ou pour celui des copropriétaires non averti27, L'interdit ainsi conçu (quod factum est restituas) a pour but de réparer la violation d'un ordre du préteur, et reste indépendant de la question du fond du droit allégué par le nuntians 2'. 11 suffit que celui-ci montre qu'il a l'une des qualités requises, qu'il y a eu nuntiatio et contravention par continuation de l'opus. Pour le prouver, il fallait avoir, lors de la dénonciation, constaté l'état des lieux, et au besoin, pour y pénétrer, obtenu un décret du préteur29. Cependant l'état de l'interdit était paralysé par une exception, lorsqu'il y avait eu convention entre les intéressés 30 et qu'il ne s'agissait pas d'intérêt public" , ou lorsque l'ouvrage était assez urgent pour n'admettre aucun retard, auquel cas le juge examine si en réalité on ne devait pas tenir compte de la défense 32. La dénonciation de nouvel oeuvre perdait sa force quand le nuntians n'avait pas fait juger le fond du droit à son profit, dans le délai d'un an, et elle ne pouvait être renouvelée, ce qui fut modifié par Justinien", On a vu que la nuntiatio s'éteignait aussi par la mort du nuntians, ou par l'aliénation de son droit sur l'immeuble, mais ses effets tombaient encore : 1° par la mainlevée obtenue (remissio), ou 20 par la garantie (satisdatio) fournie par le nuntiatus. Ce dernier réclamait exto'a ondinom la remissio du préteur pour pouvoir poursuivre son entreprise 3*, et l'obtenait quand il était reconnu qu'une des conditions requises manquait à la nuntiatio pour être régulière, ou qu'on était dans un des cas d'exception ci-dessus mentionnés, ou bien que le nuntians refusait de prêter le serment qu'il agissait de bonne foi, juramentunt calurnniae, à lui déféré 3 6 , ou enfin que le nuit h. t. ; fr. 3, § 3 D. IV, 7 ; Cujas, Redit. solenn. ad Dig. XXXIX, 1, fr. 1 et fr. 8. _. 26 Fr. 20, § 7 et 8; fr. 22 D. h. t. 27 Fr. 5, § 5; fr. 18 pr. h. t. 28 Fr. I, OPE 208 OPP tians agissant au nom d'autrui, procuratorio nomine, ne fournissait pas la caution de rato 1 [cAUTIO[. Quelle que fût l'issue du débat sur la remissio, le fond du droit quant au jus prohibendi n'était pas en question. En effet, si la mainlevée était rejetée, le nuntians demeurait tenu ou de donner caution ou de prouver son droit d'édifier ; si, au contraire, la remissio était admise, le droit du nuntians d'agir au pétitoire était réservé'. h'effet de la denuntiatio cessait quand le nuntiatus donnait la.cautio ex operis novi nuntiatione 2, vulgairement nommée par les interprètes cautio de demoliendo, par laquelle il promettait, au cas de perte du procès sur le fond, de rétablir à ses frais les lieux en leur premier état. Cette caution consistait dans une promesse par stipulation dictée par le préteur, mais avec prestation de cautions (satisdatio) suffisantes, dont le refus mal fondé par le nuntians autorisait la poursuite de l'ouvrage '. La satisdatio opérée valait remissio de la défense par le magistrat', et celui qui l'avait fournie pouvait obtenir un interdit spécial pour protéger la continuation de son oeuvre 7. Justinien a modifié ces règles, en ne permettant de donner la caution que quand le procès sur le fonds se fait attendre plus de trois mois 8. Lorsqu'il s'agissait d'entreprise sur un lieu public, il y avait simple repromissio du nuntiatus, mais elle n'entraînait pas la mainlevée ', ni l'interdit prohibitoire indiqué ci-dessus au profit du nuntiatus". Quand il y a mainlevée de la nuntiatio ou satisdatio, dans les cas ordinaires, le nuntiatus peut continuer son oeuvre à ses risques et périls " I ; car le nuntians conserve ses actions légitimes, notamment ses actions confessoires et négatoires12, mais avec la charge de prouver son rôle de demandeur, car c'est en ce sens seulement que la nuntiatio donne le rôle de possesseur au nuntiatus". En effet, la nuntiatio diffère essentiellement de la prohibition qu'un propriétaire peut faire d'un ouvrage quelconque, en ce que l'operis novi nuntiatio n'implique pas une prétention à la possession du fonds ou du droit en question, mais plutôt une renonciation au rôle de possesseur. Au contraire, la prohibitio est une sorte de voie de fait, qui ne peut réussir qu'à celui qui réellement a la possession corporis vel juris, à moins que le prohibitus ne soit par lui-même le possesseur. Quand ces conditions manquent, il vaut mieux ne pas recourir à la prohibition. Parfois, quand la partie craint de ne pas triompher au possessoire, elle doit recourir à la nuntiatio novi operis". Du reste, l'interdit compète, quand, après une prohibitio, il y a eu ouvrage fait sciemment ou contravention par voie de fait ou clandestinement, pour toute opération insolot6, et à toute personne intéressée 16. C'est le prohibitus qui doit prendre l'offensive soit au possessoire, soit au pétitoire, s'il y a lieut7; ainsi s'explique l'effet provisoire de la prohibitio, car le possesseur a toujours le moyen de la faire cesser. G. HUMBERT.